Crimson

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Sortit de son œuf il y a bien longtemps, sous la forme d'un dragon, il a totalement changé après un accident. Ce fut à l'état de drake rouge qu'il entama sa seconde vie.

A cette époque il ressemblait encore à un drake habituel, avec un physique de dragon sans ailes, des cornes, des écailles, un museau reptilien, des pupilles fendues, une queue pointue (son apparence d'antan). Désormais rejeté par les siens, il entreprit de voyager pour chercher un autre territoire ou vivre. Ce fut à l'ouest de la Mer Abyssion, dans le canyon des Tranchantes, qu'il jeta son dévolu. Il aimait l'impression de sécurité offerte par les hautes falaises, les passages dérobés dans la roche, les nombreuses cavernes à explorer.

Son premier contact avec des humains fut pour le moins sanglant. Lui ne voyait en effet que des proies pas très dégourdies, facile à attraper, dont le cuir était ridiculement facile à déchirer, qui courraient lentement, qui ne savaient pas se cacher. Ils venaient parfois explorer le canyon, et le drake ne loupait pas l'occasion de dévorer ces animaux si faciles à attraper. En plus, cette espèce avaient pour habitude d'enfermer des animaux entre des barrières, rendant la chasse encore plus facile. Comment de telles créatures avaient pu survivre ? Cela le dépassait, mais elles faisaient au moins de la nourriture facile.
Puis il comprit comment ces créatures avaient survécut : ruse. Alors qu'ils pensaient simplement avoir affaire à des animaux marchant sur deux pattes, il tomba dans un piège et fut capturé.
Ici les drakes n'étaient pas considérés comme de vrais dragons. Non, les « Maîtres-dragons » étaient ceux volant dans les cieux. Le drake rouge fut enchaîné et amené dans une grande bâtisse circulaire, enfermé dans une cellule. Il ne comprenait pas ce qu'il lui arrivait, ni pourquoi ces bipèdes aux bruits étranges le retenaient au lieu de le manger. Il était enfermé dans une sorte de prison avec d'autres bêtes. Plusieurs jours passèrent, sans qu'on lui donne de quoi manger, uniquement de l'eau.

Un soir, un homme vint regarder dans chacune des cellules. Puis il désigna le drake rouge avec des syllabes qu'il allait désormais entendre souvent : Crimson.
Puis, on vint le chercher, obligeant à suivre en lui enfonçant des objets pointus dans les côtes, et on le relâcha dans une zone terreuse, entourée de hauts murs. En haut de ces murs, il voyait de très nombreux bipèdes, qui semblaient très agités, à faire du bruit avec leurs membres et leurs bouches.

Dans cette zone, il y avait également un fiellon particulièrement grand. Suivant son instinct, Crimson attaqua et combattit férocement, sous les clameurs des bipèdes.
À ce moment, il comprit que c'était le moyen qu'avait cette espèce pour exprimer de la joie, de l'appréciation. Il comprit également ce qu'ils attendaient de lui. Du sang. Du spectacle. Ils étaient là pour avoir des émotions, pour être dégoûtés, effrayés, galvanisés. Ce jour là, il ne reçu aucune fourche entre les côtes, mais de l'eau fraîche et de la nourriture. C'est ainsi qu'il comprit comment cette espèce fonctionnait : on n'a le pouvoir sur toi, mais fait ce qu'on attend de toi, et on te donne ce dont tu as besoin.
Après réflexion, le drake rouge décida de ne pas chercher à s'échapper, curieux de voir ce qui allait se passer, si on allait lui donner davantage d'adversaires. Au début encore hésitant, avec les semaines et les mois, Crimson se fit une bonne place dans cette arène, tâtonnant, cherchant les ficelles pour obtenir plus de privilèges, pour grimper dans le classement. Au départ il faisait en sorte de répandre le plus de sang possible, de déchiqueter et de démembrer ses adversaires. Mais à force de tester des choses, il se rendit compte que cette espèce bipède pouvait être plus subtile : en effet, il recevait plus de clameurs et de récompenses lorsque le combat était palpitant. Lorsqu'il y avait de l'inattendu, lorsque les attaques étaient impressionnantes, rapides mais sans être difficiles à suivre, lorsqu'il faisait durer l'affrontement, lorsque chaque spectateur attendait le prochain mouvement avec impatience. Les gens ne voulaient pas voir un monstre égorger tous ses ennemis à tour de bras, ils voulaient un combat violent entre bêtes assoiffées de sang. Il ne passa qu'une année dans cette arène, puisqu'il fini par se faire remarquer par un puissant seigneur du coin, qui donna une belle somme d'argent pour acheter la bête à l'arène, afin de l'avoir dans sa propre ménagerie. Le seigneur avait vite comprit qu'il pouvait en tirer de beaux bénéfices en faisant de Crimson son « gladiateur ».
La bête rouge passa donc au niveau supérieur, dans la cour des grands, en rejoignant une autre arène, située au sud, au bord de la mer, dans la capitale de la seigneurie. Une arène énormément plus grande, en pierre et acier, qui organisait de nombreux jeux, et avec des challengers autrement plus féroces que les fiellons, wargs ou ours nandi. Non, il y avait des adversaires qu'il n'avait encore jamais vu, venant de partout sur l'île, tels que des serpolaires, des scorpions géants, des béhémoths, et même d'autres drakes.
Ce fut à ce moment qu'il fut marqué dans sa cuirasse et sa chair, gravé au fer rouge le signe de la seigneurie.

Son premier adversaire dans cette nouvelle arène fut effectivement un drake. Ce dernier ne tenta pas de lui parler, ni de marchander, il fit ce pourquoi il était là : attaquer. Cet adversaire était d'un autre niveau, ce n'était pas une simple bête prévisible, mais bien un autre membre de son espèce, intelligent et prêt à tout pour survivre. Crimson eu alors une émotion qu'il n'avait plus ressentie depuis longtemps : peur pour sa vie. Il su ce que ressentaient les bêtes qu'il avait mise à mort : être devant un ennemi prêt à tuer et savoir que personne ne viendrait aider, qu'il fallait repartir soit vainqueur, soit mort. Alors il donna tout, tant pis pour le spectacle, il voulait survivre. Et encore plus que cela : il voulait faire de ce lieu son arène. Alors pas question de perdre maintenant !

Crimson survécut au combat, non sans de nombreuses blessures. Mais il survécut. Il n'eut pas la force de faire du cinéma pour plaire aux gens, et son esprit brouillé par la fatigue et la parte de sang, il n'entendait plus leurs cris. Il pensa alors sérieusement se faire abattre pour sa piètre performance. Mais lorsqu'on l'emmena, ce fut pour le soigner.
Un homme vint ensuite le voir dans sa cellule alors qu'il se reposait. Crimson ne comprit pas ses babillements – ils n'avaient jamais comprit les bruits que faisait tout le temps cette espèce bipède – mais remarqua qu'il portait beaucoup plus de choses brillantes sur lui, que les autres. Tout ce qu'il retenu fut que l'homme lui donna quelque chose à manger, quelque chose de bon, de délicieux, de sucré et croustillant. Cela signifiait donc qu'il était content ? Après tout, il avait gagné. Il avait tué son adversaire. Il avait été tellement concentré sur le combat qu'il en avait oublié le spectacle, mais peut-être que ce combat avait été apprécié par les bipèdes ?

Crimson fut soigné et nourrit. Ensuite, vint de longs mois de combat, dans lequel se succédait les adversaires, et la bête gagnait de l'expérience toujours un peu plus. Ces spectateurs là étaient comme les autres, ils aimaient l'imprévu. Alors la bête rouge commença le même manège qu'avant : il construit un style de combat aussi redoutable qu'impressionnant.
Ce fut cinq ans plus tard, alors que sa réputation était en hausse, à l'occasion d'une fête, qu'on lui fit combattre son premier béhémoth, adversaire coriace même pour un dragon. Il y avait deux autres drakes dans l'arène, et il s'allia avec eux pour mettre à mort le béhémoth. Ce qu'il réussirent à faire. Et Crimson profita des blessures et de la fatigue pour tuer également le drake ayant survécu, sous les applaudissements et la joie du public.
Ce soir là, il eu droit à un repas de roi.

La bête rouge fut ensuite traitée tel le champion du seigneur. Grande cellule, repas complets, soins efficaces, et chacune de ses apparitions, les spectateurs en redemandaient. Il servait même pour les exécutions publiques, durant lesquelles il jouait avec sa proie histoire d'appâter la galerie pour les affrontement à venir.
À force de combat, son corps se mit lentement à muter, des griffes supplémentaires poussèrent sur ses pattes, des excroissances osseuses sur sa queue, et son corps devint progressivement capable de produire une toxine anticoagulante, comme pour répondre à son besoin de faire couler toujours plus de sang. Sa tête se renfonça sur ses épaules, ses cornes disparurent, ses crocs grandirent, ses jambes s'allongèrent, lui donnant peu à peu le physique d'une bête plutôt que d'un reptile, toujours plus effroyable avec le temps.
Les années se succédaient ainsi. Et il commença enfin à comprendre leur langage, à ces bipèdes. Cependant, voulant garder sa place de monstre gladiateur, il ne parlait qu'au personnel de l'arène et au seigneur. Crimson fut donc, à partir de ce moment, capable de comprendre ce qu'on lui disait. Ses « maîtres » se mirent donc à lui donner des conseils, à monter des spectacles avec lui, par exemple le faire intervenir au milieu d'un combat en faisant croire qu'il s'était échappé de sa cellule.
Pour garder son image, il prenait également soin de se montrer faussement rebelle, en essayant parfois de sauter contre la cage des gradins, en cognant contre les murs pour apeurer les spectateurs. Il comprit qu'il était même « autorisé », de manière très ponctuelle, à attaquer, blesser voire même tuer l'un de ses geôliers ou un visiteur imprudent… cela pour faire encore grimper sa notoriété. Les gens venaient voir « le monstre qui a dévoré des humains ». Parfois, il faisait même en sorte de se faire blesser, de se prendre des coups afin de faire grimper le suspens, et rendre ensuite sa victoire encore plus éclatante.

Il était donc autant gladiateur qu'acteur – bien que les combats étaient réels. Et cela marchait. Et cela marcha encore longtemps, le fils du seigneur prenant sa place, et ainsi de suite, pendant plusieurs générations. Crimson séparait même sa vie personnelle dans l'arène, de son personnage de bête sanguinaire qu'il montrait au publique, tel un acteur de cinéma faisant son travail. Sa cellule restait ouverte, il pouvait même sortir de la ville par des passages souterrains de l'arène, il discutait avec le personnel de l'arène, et avait même des « collègues » drakes avec lesquels il montait des combats, des fausses rivalités, des fausses histoires d'amour, tout cela pour le plaisir du public. Bien que les affrontements sanglants avec les monstres se faisaient moins fréquent, l'arène en organisait toujours, cela amenait toujours un maximum de spectateurs. En bref, il s'amusait beaucoup, non seulement il pouvait combattre, mais en plus, on lui donnait tout le confort nécessaire.
Mais rien ne dure pour toujours, et tout changea rapidement. Car vint le moment ou le premier cavalier se révéla. La bête rouge entendit parler de cet Ellian, mais n'y accorda pas beaucoup d'importance. Jusqu'à ce que des gens montés sur des dragons se faisant appeler les « Cavaliers d'Argeya » viennent annoncer l'unification de l'île sous une seule bannière, et donc la fin des seigneuries. Ils mirent également fin aux affaires de l'arène, jugée trop barbare. Tous furent congédié, les monstres relâchés, et le bâtiment ou Crimson avait passé plusieurs siècles, commença sa destruction. Il eu beaucoup de mal à l'accepter, à accepter qu'il venait de retourner à son état d'antan,  à un monstre errant sans but. Sans plus rien à faire, plus aucun adversaire, et pour ne rien arranger, au cours des dernières années, son apparence s'était modifiée, lui donnant une tête qu'on ne voudrait pas inviter à prendre le thé.

Grand bien lui fasse, si on ne pouvait plus lui donner d'adversaires, alors il irait les chercher lui-même. Et comme il avait combattu toutes sortes de monstres et de drakes dans l'arène, cette fois il avait le beau projet de tuer les dragons et vouivres, ceux qui pouvaient voler, ceux qui le regardaient de haut et pensaient pouvoir tout décider. Ces cavaliers venaient d'encore plus au sud, alors il descendit toujours plus loin, jusqu'à trouver de nombreuses odeurs humaines.
Il rôda aux alentours de la mer Australe, puis des monts Celrons, pendant encore quelques siècles, attaquant tout ceux qu'il croisaient en particulier lorsqu'il s'agissait de dragons montés. Que ce soit par vengeance, pour espoir de retrouver sa réputation d'antan, ou juste combattre pour combattre, ou les trois à la fois. Et sans savoir pourquoi, il a commencé à devenir de plus en plus affamé. Manger, chasser ou tuer ne lui suffisait jamais. Il avait toujours autant faim, quand bien même il engloutissait des proies. Il continuait à muter, perdant sa capacité à se reproduire. Maintenant qu'il n'avait plus d'attaches, il se mit alors à chercher sérieusement des réponses à son état.
Crimson s'est calmé, après cela. Il arrêta de se mêler des affaires des humains, ne faisant que le spectateurs, prenant du recul sur leurs existences.

Il a également vécu en faisant attention à ne pas s'approcher d'un humain, de peur de se retrouver avec un lien. Devoir gérer un cavalier est bien la dernière chose dont il a envie. Il est en effet plutôt occupé à atteindre plusieurs de ses propres objectifs.